07 décembre 2005
Une année déjà depuis que l’illustre dramaturge Mohand U Yahia est mort, un certain 7 décembre à Paris, à l’âge de 55 ans, après avoir lutté contre la maladie qui a eu, malheureusement, le dernier mot. Mais un artiste de sa stature peut-il vraiment mourir ? Non et mille fois non !
Il continue à exister
à travers ses œuvres titanesques (pièces théâtrales
et poésie). Que de pièces ont été adaptées
et kabylisées par ses soins avec panache et virtuosité. L’exemple
de la jarre, une œuvre de Luigi Pierrot Delanaöe, à laquelle Mohia
a insufflé l’âme kabyle dans un décor rustique. Cette comédie
tourne autour d’une grande jarre, que le personnage, Jeddi Yevrahim, a achetée
pour y stocker l’huile d’olives. Après quoi, elle (la jarre) s’est fêlée
et un gros tesson s’est détaché. Furieux, le vieillard a fait
tout un esclandre à son entourage (Ali n Delon, vouvron, wejjir, wejtoti,
H’lima n tala, Tajibant et Smina n tazart) qu’il accuse de lui avoir bousillé
la jarre. Alors, pour raboter le morceau et calmer le vieux, on fait venir Si
Kaci, un réparateur d’ustensiles confectionnés en terre cuite.
Celui-ci, après des remues avec l’acariâtre propriétaire
de la jarre, pénètre à l’intérieur du gros fut pour
recoller le “lambeau”. En faisant ainsi, il essaya de s’extraire mais il ne
put le faire, car l’ouverture ne le lui permettait pas. Alors, commençait
tout “un feuilleton” tragi-comique. Yevrahim entra dans un tourbillon de colère
et Si Kaci demanda à ce qu’on casse la jarre pour qu’il puisse sortir.
Jeddi “vriro”, comme l’appelait le réparateur, refusa catégoriquement.
Les autres suivaient la scène dans une risée générale.
On fait venir l’avocat, mais celui-ci, devant l’opiniâtreté de
Si Kaci, ne put résoudre le problème. Jeddi Yevrahim voulait que
l’infortuné réparateur lui dédommage la jarre pour qu’il
puisse la casser et le faire sortir. Ce dernier ne voulut rien savoir. Alors,
à la nuit tombante, le vieux et son ami l’avocat rentrèrent, las,
à la maison. Après, Si Kaci voulut fêter, avec sarcasme,
sa nouvelle “demeure” (la jarre). Il fit acheter du vin et des sardines et provoquait,
avec le reste des protagonistes, le tintamarre en chantant. Le vieux Yevrahim
sortit tout furibond et donna un violent coup de pied à la jarre. “Hakh
! Inaâl slaltek !” (Tiens ! Maudite soit ta lignée !). Celle-ci
s’en alla s’écraser et voler en éclat dans une ravine. Si Kaci,
indemne, sera porté par la petite foule en scandant : “Vive Si Kaci,
champion !”. Fin de la pièce qui s’intitule “Le Ressuscité” de
luxun, un dramaturge chinois, laquelle fut adaptée par notre artiste
d’une manière remarquable et transformée en “Mohand U Chaâbane”.
Dans cette œuvre, l’auteur raconte les mésaventures de ce personnage
où le tragique et le comique s’entrelacent. En allant étancher
sa soif dans une rigole, Muhend U Chaâbane remarqua un os. Se posa des
tas de questions sur l’humain, propriétaire de ce bout de squelette.
Il décida, pour avoir des réponses d’abjurer Sidi Abderrahmane
de ressuciter cet homme. Son vœu fut excaucé, et voilà qu’un jeune
homme, un gaillard d’une trentaine d’année, se tint debout et tout nu
devant lui. “Qu’est-ce que ?... ma valise, mon parapluie... où sont-ils
?” demanda le ressucité à Muhend U Chaâbane. Celui-ci lui
raconta tout mais le jeune, qu’on fit revenir à la vie, ne croyait pas
un mot et somma U Chaâbane de lui remettre ses affaires, en l’étranglant.
Ce dernier regretta d’avoir insisté auprès du Saint pour ressuciter
son antagoniste et l’implora une deuxième fois pour qu’il fasse disparaître
le revenant, mais peine perdue. Auparavant, Muhend U Chaâbane sut que
le jeune était mort depuis 5 siècles, assassiné. D’autres
pièces ne manquent pas de génie, à l’exemple de Moh Parpouche
qui voulut aller au paradis, et qui se prit pour un mort en insistant auprès
de son entourage pour qu’il l’inhume. Tous les médecins que ses
parents firent venir ne purent le guérir. Le dernier eut une astuce qui
s’avéra payante. En aménageant une pièce, très bien
décorée, on fit croire à Moh Parpouche que c’était
là le paradis. Tout content, il se mit à manger, alors qu’avant,
il n’avalait rien pour justement, mourir, jusqu’au point où il devient
rabougri. Puis las de ne gober que du miel et du beurre au “paradis”, et puis
l’inexistence des toilettes pour ses besoins, et puis encore cela faisait un
bon moment qu’il ne voiyait pas sa dulcinée piloucha et ses parents.
Las, il demanda aux “anges”, qui étaient des femmes déguisées,
de redescendre sur terre. Après, on le fit sortir de la pièce
les yeux bandées, et devant sa famille, on lui ôta le bandeau.
Ce fut ainsi que Moh parpouche guérit. Ce sont là trois exemples
de pièces théâtrales magistralement adaptées par
Mohnd U Yahya. Sidérant à la fin ! La poésie, elle aussi,
ne manque pas de talent. L’auteur de “Ah Yaddine qessam” qui raconte le calvaire
qu’endurait le prisonnier politique et militant des causes justes, et qui fut
interprété par l’indétrônable monstre de la chanson
engagée, Ali Ideflawen, qui a d’ailleurs repris beaucoup de textes, tout
aussi percutants les uns que les autres de Mohia Brahim Izri, Malika Domrane,
Ferhat, le groupe Djurdjura et tant d’autres artistes, ont pris ses textes et
les ont chantés. Pour l’anecdote, un chanteur que Mohand U Yehya n’a
pas cité, voulait un texte pour le chanter. Le poète lui
proposa “Berzidane”; le demandeur a refusé le poème en disant
à celui qui le lui proposa : “Tu veux qu’en m’emmène en prison
?” Et à Mohia de rétorquer : “L’aârtiste !” Mohia a, durant
toute sa vie de poète-dramaturge, vécu dans l’ombre, loin des
feux de la rampe. Il faisait son travail par conviction et militantisme pour
la cause amazighe. Il n’éditait pas ses œuvres mais les enregistrait
par ses soins dans des cassettes qu’il revendait comme il les achetait (à
leur prix d’achat). A l’époque de la police politique, une K-7 de Muh
U Yehya, trouvée sur son porteur, équivalait à de gros
ennuis.Il est du devoir de tout un chacun de pérenniser son nom et de
lui rendre des hommages, et ce en dehors de ses dates de naissance et de décès.
Il a trop donné à notre culture pour qu’il soit oublié.