SI MOHAND OU M'HAND OU LE PÈLERINAGE
DANS LE TEMPS *
L’un des pivots de la poésie
algérienne, et que la légende continue
d’auréoler, Si Mohand Ou M’hand est cependant
méconnu des manuels scolaires et universitaires
de notre pays. La mesure fut comble lorsqu’on interdit
à Mouloud Mammeri de donner une conférence
sur « La poésie ancienne kabyle »
à Tizi Ouzou, au cœur même de la Kabylie
natale du poète. C’est ainsi que la réaction
populaire à la culture de l’oubli, qui éclata
un 20 avril 1980, fut réprimée dans le
sang. Ce qu’on appelle communément « Le
Printemps Berbère », et qu’on commémore
chaque année dans le recueillement. D’autant
à dire que la mémoire collective
berbère repose essentiellement sur la tradition
orale. Aujourd’hui, nous tenterons justement, et sereinement,
une « descente » (mais combien
sinueuse !) dans l’histoire d’un monde en proie
à un frelatage sans précédent,
à travers notre poète. En nous écartant,
du même coup, de la formule aussi barbante que
stérile : « il était né
telle date, il est mort telle autre ». Oui,
« sinueuse » à plus d’un
titre : synchronisme inouï et extrapolations
insoupçonnées qui caractérise une
époque ambiante.
Non. Pas du tout.
Un poète ne meurt jamais vraiment. Et avec lui
échappe toute une conscience collective, et enfouie,
de son peuple à la terrible patine des temps.
L’Iliade et L’Odyssée de l’immortel Homère
continueront indéfiniment à raconter la
guerre de Troie (vers 1170 av. J . -C.) et le fabuleux
Ulysse qui concocta le stratagème du cheval de
bois. Un poète, c’est aussi quelqu’un qui ne
veut rien rater de son époque. Dès lors,
il semble être né à dessein pour
guider le destin des générations, voire
de l’humanité. Justement, Si Mohand Ou M’hand,
notre barde, est de cette trempe rarissime que l’histoire
ait jamais connue. Quoique –il est vrai- nos rues (déshéritées !),
nos salles de spectacles, nos écoles, etc… n’arborent
pas son nom, il demeure indubitablement « déifié ».
Quand bien même sont ceux qui gardent comme une
relique, dans quelque recoin de leur cœur, un certain
nombre (ou fût-ce un vers) de ses poèmes.
Il n’y a pas si longtemps, quand la parole valait encore
son pesant d’or, où les vers de Si Mohand émaillaient
pratiquement toutes les discussions. Il avait toujours
raison. D’autant qu’il constituait une particularité
pour avoir chanté une poésie éclatée,
à la fois paillarde et édifiante. Que
ce soit à la rivière ou dans les champs
entre teen-agers, dans les foyers ou « anejmaâ
n taddart » (l’assemblée du village,
souvent en l’associant à son vénérable
contemporain cheikh Mohand Ou L’houcine, notamment à
travers leur célèbre sticomythie), la
poésie de Si Mohand était on ne peut plus
omniprésente. On se souvient avoir vu, il y a
une cinquantaine d’années encore, dans des cafés
maures, des vieux accroupis sur des nattes, et récitant
avec entrain, à longueur de journée, ses
poèmes. Bien plus, on se plaisait même
à raconter des anecdotes, parfois invraisemblables,
qu’il aurait vécues.
Aujourd’hui, parler de ce
« poète-monument » c’est
un peu comme effectuer un pèlerinage dans le
temps. Où l’on aura re-trouvé, à
l’entrée d’une bourgade étrangement paisible,
un bénitier. Puis, qu’une lueur apparaît
au loin, à travers un semblant de fenêtre
–et nous attire-, un espoir renaît. D’autant qu’une
mélopée à la fois surhumaine et
lénifiante s’y élevait de plus belle.
Oui, un peuple sans poètes (donc sans attache
quelconque ni mémoire) est tel ce vaisseau fourvoyé,
parce que sans gyrocompas, après avoir largué
les amarres. Quelle dégaine ! C’est vrai
aussi que cet immense pays, comme l’Algérie,
a toujours été sujet à quelque
criminel déphasage. Que celui de décrier
véhémentement la crème de ses enfants.
En ce sens, Mostefa Lacheraf, lui, est éloquent :
« Au long des siècles, la persécution
fut le lot de ces penseurs, philosophes, écrivains
et poètes anticonformistes ou porteurs de vérités
audacieuses et inédites… »(1). Ou on est du bois
dont on fait des flûtes, ou on encourt (dignement,
bien entendu) toutes les rigueurs de la proscription.
Autrement, à force de s’en prendre à ces
humanistes et « forces de beauté »,
on cligne de l’œil par-là même aux vieilles
badernes et desperados, dont les contrecoups échappent
souvent à leurs apprentis sorciers. Mais, n’est-ce
pas que l’irréparable est malheureusement déjà
consommé : l’Algérie, aliénée
par l’abrutissement de masse, se cherche dans la douleur,
dans le sang ? Et partant, barbotant dans une crise
existentielle sans précédent. C’est donc
à se demander pourquoi il y a tant d’acharnement
de la part des intégristes de ce pays, qui se
modèlent d’autre part sur un type d’idéologie
« importée » et qui nous
exclut jusque dans notre survivance culturelle, envers
tout « producteur d’idées »
ou les intellectuels que sont justement les penseurs,
les philosophes, les écrivains, les peintres,
les poètes… À tel point qu’il nous est
très difficile, par exemple, de penser l’Algérie
au présent. Il y a comme un voile de brume qui
obscurcit le ciel étoilé que constituent
ces chantres (qui avec sa plume, qui avec sa voix ou
son pinceau) de la liberté et de l’amour :
Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Jean Senac, Malek Haddad,
Mouloud Feraoun, Anna Greki, Racim, Issiakhem, Khadda,
les Amrouche, Nadia Guendouz, Slimane Azem, Bachir Hadj
Ali,… Ils sont tous morts, et étaient de leur
vivant frappés d’interdiction (excepté
Feraoun assassiné par l’OAS), pour n’avoir pas
voulu obtempérer aux injonctions du système,
encore moins lui servir de boîte à résonance !
Quant aux « vivants » : Idir,
Tassadit Yacine, Hamid Tibouchi, Ben Mohammed, Habib
Tangour, Mohamed Dib, Mohand Ouhya (entre autres), ils
ont « préféré »
l’exil aux bâillons, ou plutôt aux coutelas.
En tout cas, l’histoire les aura retenus comme hymne
à l’humanité.
Revenons à la « mélopée ».
À l’origine, il y a un siècle et demi,
existait Ichariouane (à peine quelques maisons)
haut perché, de 1000 m d’altitude environ, sur
les crêtes des Aït-Iraten (les lions). Laquelle
tribu comprend à présent Larbaâ
Nat Iraten, Irdjen, Aït-Aggacha, Aït-Oumalou…
Si bien que pour s’y rendre, les chemins, de quelque
côté qu’on les emprunte, montent en serpentant
bien de prairies odoriférentes. Étant
donné l’enclavement du hameau et ses terres principalement
rocailleuses, on y menait un train de vie de rudes montagnards.
Mais libres, et qui se complairaient dans leur « cantonnement »,
en dignes héritiers du flambeau de Massinissa :
« L’Afrique aux Africains ». Les
petits paysans, comme les rares grands propriétaires
terriens, vivaient au rythme des saisons, de la terre,
souvent ingrate, qu’ils travaillaient avec acharnement.
De l’olivier qui prédomine au figuier, en passant
par le cerisier entre autres, on s’adonnait plutôt
à l’arboriculture. Sinon, n’étaient pas
nombreux ceux qui cultivaient d’autres cultures :
maraîchère ou céréalière.
Les mercredis, c’était jour de marché.
Ichariouane constituait alors une plaque tournante (pour
toute la contrée), en matière d’échanges,
de troc et transactions.
Quand Si Mohand y vint
au monde vers 1845, la Kabylie n’était pas encore
pénétrée par les troupes françaises.
Du moins, des tentatives d’incursions eurent tourné
en eau de boudin. Tandis que des massacres massifs furent
perpétrés dans le reste du pays. L’on
raconte aussi que ses parents, M’hand Améziane
Aït-Hamadouche (ainsi que ses deux frères
Arezki et Saïd) et Fatima Aït-Saïd, auraient
fui une vendetta en quittant carrément Aguemoun,
leur village natal, pour trouver refuge à Ichariouane(2). En outre,
Mammeri avait rapporté une légende (sous
toutes réserves ?), comme quoi le poète
serait né, par contre, à Tighilt El-Hadj
Ali. Où sa mère avait été
chez son frère, Amer Aberkane Aït-Saïd,
pour les mêmes raisons de sécurité.
Mais, n’etait-ce pas là, se demandera-t-il en
revanche, probablement un « désir
de revendiquer un poète célèbre » ?
Tel eut été le cas de Homère qui
fut disputé par sept cités grecques.
Quelque temps après,
des batailles embraseront la région, mettant
plus d’une centaine de villages à feu et à
sang. Des mouvements populaires éclatèrent
alors dans la vallée de la Soummam, les Babors-Bibans
et le Djurdjura. Plusieurs magistrats indigènes
et chefs de tribus furent exécutés. L’histoire
se serait-elle répétée ? Au
début du IIIe siècle, sous les Gordiens,
les Berbères chassés de leurs terres,
réduits en « rudes montagnards »
et acculés au mur de la révolte, s’en
prirent impétueusement aux Berbères romanisés
et colons De même, serait-ce un véritable
retour de manivelle ? L’heure fut momentanément
à la « confédération »
plutôt qu’à tout autre dissension intestine,
pour stopper l’adversaire. Jaloux de son indépendance,
comme aux temps de Carthage et de Rome, le massif montagneux
et rebelle déclara la guerre aux troupes coloniales. Une
guerre dont le pays se ressentira des années
durant.
Entre-temps, notre
poète devait avoir 5 ou 6 ans lorsque sa mère
l’endormait en évoquant un certain Bou Beghla
(l’homme à la mule). Ce dernier, chef guerrier
des Maâthka, qui domptait montagne et plaine,
aurait suscité de folles légendes au sein
de la population. Un vaillant combattant auquel ressembleront
Arezki Ou L’vachir et Oummeri, ces autres « bandits
d’honneur » qui prirent le maquis respectivement
à la fin du siècle dernier et dans les
années quarante. Et 8 ou 9 ans lorsqu’on chantait
déjà, dans les douars, les prouesses d’une
mystérieuse Lalla Fadhma N’Soummeur qui semait
l’épouvante dans les environs. S’habillant en
rouge au champ de bataille, elle incarnait l’honneur
et le sacrifice.
La résistance,
d’autre part, n’était pas structurée.
Là encore, s’agirait-il d’une réédition
à l’instar des Quinquégentiani et des
Fraxinences (tribus kabyles), face aux Romains en 243 ?(3). On se regroupait à
chaque fois, le fusil en bandoulière, pour se
défendre. C’était le moins que l’on pût
faire. Remportant ainsi victoire sur victoire jusqu’en
1857, où le Général Randon, résolu
à fouler aux pieds le Djurdjura, mena une des
plus barbares opérations –en renforçant
ses unités- à Ichariouane (région
des Aït-Hamadouche). Étrange fait !
Le patelin aurait déjà connu un autre
drame similaire, de 289 à 297, avec l’implacable
intervention de l’Empereur Maximilien, après
que les Berbères avaient enregistré de
nombreux succés. Encore une fois, le Général
en fera quand même les frais en pertes considérables,
dans ses rangs. Les combats n’allaient pas pour autant
cesser, puisque d’autres accrochages reprirent dans
le versant nord du Djurdjura. Mais, de guerre lasse,
notre héroïne et ses hommes ne tarderont
pas à se faire prendre dans un coup de filet
à Takhlidjt.
Avant de prendre d’assaut
définitivement le nid d’aigle, où se juchait
le petit Mohand, bien des batailles sanglantes eurent
lieu au niveau de Adni et Tighilt El-Hadj Ali (entre
autres). De mémoire d’homme, jusque-là,
jamais l’envahisseur n’y avait été parvenu.
Tant on lui tenait à chaque fois la dragée
haute. Il aura fallu un jour que les Aït-Iraten
fêtent l’Aïd chez eux pour que leur soit
asséné le coup de grâce. Certains
parlent même de la complicité d’un traître.
Ainsi, une anecdote disait : « De Tizi
à Larbaâ, il y a 27 km, et la France avait
mis 27 ans pour y arriver ». Il est clair
que la France était entrée en Algérie
en 1830.
Ce fut donc le début
d’une déchéance. La conquête d’Ichariouane
était semblable à cette épine qui
aurait crevé « l’œil des Kabyles ».
La population spoliée, asservie, fut carrément
déposée à quelque 10 km plus bas,
dans la vallée du Sébaou. À peine
installé avec ses parents à Akbou (village
aujourd’hui disparu), Mohand, impuissant, regardait
de loin monter une bâtisse sur les décombres
encore fumants du village qui le vit naître. Laquelle
construction fut fortifiée par un mur d’enceinte,
laissant à l’est « La Porte du Djurdjura »
qui donne sur Aïn-El-Hammam (ex Michelet), et au
Nord « La Porte d’Alger ». Plus
tard, Fadhma Aït-Mansour Amrouche témoignera,
dans son livre « Histoire de ma vie » :
« …loin sur la colline, au-delà de
la rivière, je voyais le Fort National entouré
de ses remparts blancs couverts de tuils rouges ».
Il s’agissait du Fort Napoléon (initialement)
qui servira de mirador, et avec lequel s’annonçait
un affaissement tragique de tout un bloc de nos valeurs
séculaires. Bien entendu, l’assujettissement
définitif de la Kabylie (1857) ne mit pas fin
à la résistance armée. Aussitôt,
les séditions reprennent dans les Aurès
(1857), dans le Hodna (1860), au sud, au Tell, dans
les steppes…
Victimes ( ?)
d’un miroir aux alouettes, certains seront même
amenés à émigrer : qui en
France (« assimilation individuelle » ?),
qui aux USA, qui en Amérique latine et en Australie.
Laissant femmes et enfants, ils partaient se dépenser
à fond pour revenir –quand c’était le
cas-, à chaque fois, avec un pécule.
« (…)
Les salaires ont baissé à
un franc cinquante
pas
un sou à gagner
Plus
ils travaillent et plus leurs dettes
montent… »
« Je
suivais des yeux le soleil
En
route vers mon pays
Il
poussait vers l’occident sa course
Comment
mon cœur connaîtrait-il la joie
J’ai
laissé là-bas mes amis
Parfums
de musc et d’ambre… »(2)
C’est-à-dire,
au début du siècle, que la société
du poète connut des tiraillements plus que douloureux.
Que le village strictement régi par la djemaâ
(l’assemblée du village), qui puisait ses « eaux»
dans les « nappes phréatiques »
de la Berbérie, eut été réduit
par l’Administration coloniale. Tout au moins, nos rares
centenaires, qui gardent la mémoire plutôt
vive, se souviennent être systématiquement
affamés. Sinon, comment aurait-on pu vaincre
cette race, aussi vielle que le monde, d’irréductibles et
d’invincibles, dès lors qu’il s’agit de comprommettre
leur fierté. La vie difficile –en plus de la
terre pauvre- allait crescendo, certes, mais serait-ce
pour autant un choix justifiable que d’opter pour cette
autre forme de reniement des siens. Et pourtant, jusque-là,
on voyait en le « rude montagnard »
tout un symbole de soi-même, de liberté,
d’indépendance et d’ « ancrage »
obstiné. Là serait, peut-être, la
raison qui fait que l’émigré kabyle –inconsciemment
et généralement-, une fois le congé
épuisé parmi les siens, continue à
repartir pour l’exil forcé très tôt
le matin (à la dérobée).
En d’autres termes,
lesquels tiraillements qui se confirmèrent au
lendemain de l’apaisement de la tourmente révolutionnaire
déclenchée par El-Mokrani et la confrérie
des Rahmania dirigée par cheikh Ahaddad de Seddouk.
La « guerre de libération »
atteignit son paroxysme en avril 1871, juste avant que
le légendaire El-Mokrani ne tombe au champ d’honneur.
« Plutôt rompre que plier »,
le flambeau de la résistance fut vaillamment
rehaussé par son frère Boumezreg. Mais,
que la France reprit du poil de la bête, notamment
après la fin de la guerre qui l’opposait à
la Prusse et la chute de la Commune de Paris, l’insurrection
ne survivra que quelques jours. Ainsi, donc, les Aït-Iraten
(dont la population de l’ex Ichariouane), disséminés
aux alentours du fort (Fort-Napoléon, avec l’avènement
de la IIIe République), offrirent les meilleurs
de leurs enfants –environ 2000 volontaires- en prenant
d’assaut les remparts dudit fort. Bien plus tard, cette
même tribu de « lions »
continuera à consentir ce sacrifice à
travers les glorieux Abane Ramdane, Djouadi Abderrahmane,
Fernane Hanafi… Nos mères, jusqu’à ces
dernières années, chantaient encore la
bravoure des Aït-Iraten. Et à ma grand-mère
d’enchaîner : « d-irgazen at arsas »
(ils étaient de vaillants guerriers). Ichariouane
fut le théâtre d’un massacre sans précédent.
Quant aux Aït-Hamadouche, ils eurent leur lot de
persécution. Soupçonné d’être
partisan de la révolte, M’hand Améziane
fut exécuté (Si Mohand, lui, y échappa
belle).
« Je
le jure de Tizi-Ouzou
Jusqu’à
l’Akfadou
Nul d’eux
ne me commandera
Plutôt
rompre que plier
Plutôt
être maudit
Dans un
pays où les chefs sont des
entremetteurs… »
Rinn
écrit : « La répression
fut terrible ». Tout comme cette complainte
populaire, rapportée par Luciani : « 1871
fut l’année de notre ruine / Elle nous brisa
les reins ». S’ensuivent alors l’expropriation,
la dislocation et la désolation : l’oncle
Arezki se vit déporté en Nouvelle Calédonie
(probablement en même temps que Boumezreg ?),
tandis que l’oncle Saïd prit la fuite en Tunisie.
Où se rendra à son tour Akli, le frère
aîné, après avoir procédé
à un partage léonin. La mère se
rongeant les sangs, se réfugia avec le petit
Méziane au nouvel Ichariouane, où elle
vécut corrodée par un profond dénuement.
Et Si Mohand, bradant sa part d’héritage, entama
sa vie errante de poète invétéré.
Loin de vouloir verser
dans l’étalage de notre histoire, et sans « hargne »
aucune, on est amenés toutefois à fureter
dans le passé, en vue de jeter quelques éclairages
sur les « zones d’ombre » de notre
mémoire collective. Nous voulons démontrer
par-là que Si Mohand appartient à cette
« lumière stellaire » qui
inonde le « ciel algérien »,
dont chaque « étoile »
nous berce et nous guide dans nos « égarements ».
L’on y comprendra, par exemple, la quintessence de ce
pan de nous-mêmes véhiculée par
la double épopée de notre poète.
Telle une feuille emportée par les vents, Si
Mohand doublement infatigable, et sans papiers d’identité,
vécut une vadrouille sans commune mesure. À
supposer qu’il narguait l’Espace et le Temps. Peut-être
aussi, une tendance à l’universalisme par euphémisme
à la « mégalomanie ».
Tout comme Tertullien, cet autre Berbère arraché
à sa terre, qui se réclamait d’une seule
et unique république qu’est le monde. Kateb Yacine
fera autant en foulant le sol de Hanoi, de Pékin,
de Moscou, de Stockholm, de Hambourg, de Paris, de Sofia,
de Tunis, de New York… Chantant avec âme les justes
causes de la planète Terre. Mieux encore, serait-il
en quête d’un pays qui, dans les temps immémoriaux,
s’étendait depuis les côtes atlantiques
jusqu’au Plateau de Katabathmoun, via le golfe des Syrtes ?
J.Desparmet dira : « Les poètes
algériens ont su flageller le vainqueur, pleurer
la liberté perdue et rendre la nostalgie poignante
et les révoltes de désespoir qu’éprouve
une race qui assiste à la ruine de son indépendance,
de sa foi et de sa culture… ». De péripétie
en péripétie, durant ses interminables
pérégrinations le menant de Tizi à
Tunis, via Bône (Annaba), Si Mohand aura su nous
conter une fresque incommensurable de son siècle,
de son temps. D’une belle femme (comme lune) qui plongerait
sa cruche dans la source –au friselis- aux valeurs intrinsèques
et profanées de sa société, en
passant par ses propres déboires, il nous aura
finalement tout colporté.
« On
a nommé un président
Il est
venu officiellement
Et les
crapules de courir à qui
mieux mieux vers lui
Les amins
(maires de villages) de concert
Puis les
tamens
Sont venus
lui offrir leurs demeures… »
« Faucon
écoute bien mon message
Avant
de déployer tes deux ailes
Sois de
ceux qui comprennent
Par-delà
la montagne
Emporte
mes lettres
Et raconte
à chaque ami
S’il est
encore des cœurs qui s’attendrissent
Qu’ils
se souviennent de moi
Enfant
prédestiné à
l’exil. »
« Elle
a sourcils arqués
Cheveux
jusqu’à la ceinture
Seins
pimentés
Où
est ta demeure dites-moi
Que je
m’y rende
Elle se
ressouviendra si même elle
m’avait oublié »(4)
Aussi nous est-t-il
arrivé de croiser des Libyens, des Marocains…,
en pèlerinage à Askif Netmana (abri protecteur)
où il fut inhumé en 1906, l’année
même qui vit naître un autre monument :
Jean El-Mouhoub Amrouche.
Octobre / Novembre
1992
Mohamed
ZIANE-KHODJA
*Ce texte allait
être publié à « RUPTURES »
par Tahar Djaout qui le confia à R. H. Quelques
jours plus tard, il sera assassiné… Il paraîtra finalement
au quotidien « LE JEUNE
INDÉPENDANT » (avec une partie du
texte escamotée), les 13, 14, 15 et 16 février
1994.
(1)- Mostefa Lacheraf in
« Algeria & Tiers-Monde »,
éd. Bouchène, Alger - 1989.
(2)/(4)- Mouloud Mammeri
in « Les Poèmes de Si Mohand Ou M’hand »,
éd. F. Maspero, Paris – 1969.
(3)- Mouloud Gaid in « Aguelid
et Romains en Berbérie », Opu, Alger
– 1985
PS : Au passage, puissent MM
Abane Rabah et Haddad Tarik, respectivement Président
et Secrétaire Général de l’APC.
de Larbaâ Nat Iraten (à l’époque),
trouver ici ma profonde gratitude pour m’avoir
si bien accueilli et renseigné sur le berceau
du poète. Merci. |